Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 16:59
La Croisière Jaune se rend, le 7 février, à Kalgan. Le lendemain, moment de repos et de rédaction (articles, courriers personnels). L’équipage espère arriver le 12 à Pékin, et en repartir le 25 par cargo japonais pour se rendre à Hong-Kong. En raison des bombardements de Shanghai et de Nankin, la croisière sur le Yang-Tse est ajournée. Le voyage semble à la fois encore long et paradoxalement proche de son terme. L’expédition a débuté il y a maintenant onze mois. « Encore 230 km et nous touchons au but ».
Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:01
« Vers 4 heures après avoir gravi les escarpements (les derniers qui nous séparent encore de Pékin) nous apercevons, suivant le profil des crêtes une ligne maçonnée : la Grande Muraille. Bien que nous ayons déjà vu plusieurs grandes murailles depuis Soutchow, celle-ci est indiscutablement la plus majestueuse et à nos yeux la plus symbolique […] Lorsque les sept autochenilles passent l’une après l’autre sous la poterne massive, nous apparaît enfin le but réalisé. C’est une récompense attendue depuis des mois et dont sonne enfin l’heure ». Les aventuriers sont arrivés sains et saufs ; ils ont échappé à tous les dangers humains. Mais leurs prières ont-elles été réellement entendues ? Car la route, elle, demeure menaçante. Droit devant eux : dix-sept kilomètres de pierraille difficiles à franchir. Deux bandes éclatent. Arrivée à 23h30 au ‘Railway Hotel’ de Nankow, pour un repos bien mérité.
Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:03
Le 11 février, l’expédition loge chez des missionnaires français. La nourriture, le vin, les draps ; dormir dans un véritable lit avec un sommier métallique, tout cela rend les voyageurs heureux. « Nous avons la joie un peu barbouillée des gosses à la veille des étrennes. Nos étrennes, ne sont-elles pas l’entrée à Pékin ? ».
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:06
Comme prévu, l'arrivée à Pékin a lieu le 12 février. C’est avec dignité et élégance vestimentaire que les membres de l’expédition traversent la banlieue de la grande ville. « Restaurants en plein vent ; enseignes et chiffons flottants. Pousses. Un porteur d’eau pousse sa brouette dont les montants sont couverts de glace. Des ânes. Des cyclistes en chapeau mou avec d’énormes lunettes […] Des pins parasols […] Au km II nous sommes salués par des boy scouts qui agitent des drapeaux français. Des autobus passent, bondés […] Nous tournons à droite et pénétrons dans le quartier des légations ‘Diplomatie Quarter’. Emotion qui gonfle nos cœurs.
Encore un détour sur la droite. Des gens nous regardent intensément […] Le porche important de la Légation de France. En pierre massive. Et soudain… des braves petits gars de la Coloniale en double haie, présentant les armes, le regard fixe, raidis par l’émotion. Comme nos cœurs battent… La récompense. L’aboutissement…
Les voitures s’arrêtent l’une après l’autre devant le perron sur lequel se presse une foule attentive. Mme Wilden, les Lagarde, le Cdt Fieschi, attaché de l’air, tout la colonie française, anglaise, américaine, italienne, européenne. Cocktails. Bruissement des conversations. Discours de bienvenue de Lagarde. Réponse de Georges-Marie Haardt. Nous tombons tous de fatigue. Nous ne pensons qu’à la chambre de l’hôtel, à la salle de bain.
Il en est ainsi. La vérité dépasse les plus belles formules. Ce voyage, nous le portons dans nos cœurs avec ses vicissitudes et ses belles heures. Il n’est personne qui puisse nous le rendre plus sensible que nous-mêmes ».
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:09
Dernier épisode...j'espère que quelques lecteurs seront parvenus à tout lire !!!
Pousse-pousse passant à côté de véhicules de la Mission Citroën. CITROËN COMMUNICATION
Après cette arrivée exceptionnelle, les membres de l’expédition se reposent quelques jours à Pékin. C’est l’occasion pour eux d’approfondir leur connaissance de la Chine, en attendant de reprendre la route vers l’Occident, vers l’Europe. Iacovleff, Sauvage et Le Fèvre assistent à plusieurs représentations de Mei-Lang-Fang, l’un des plus grands acteurs chinois de l’histoire. Magnifiques pièces de théâtre.
Mais, une menace rôde : le Japon est entré en guerre contre la Chine à Shanghai… Un combat qu’esquissera deux ans plus tard Hergé dans Le Lotus bleu.
Opéra chinois à Pékin. CITROËN COMMUNICATION
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:14
Chacun analyse ses trouvailles, fait des observations géologiques et paléontologiques. Les réceptions et les galas se succèdent. Après tant de montagnes et de déserts traversés, l’équipage s’y sent perdu. Brutal retour à la vie citadine.
Échos de France, où l’on craint la guerre. Le front Est se renforce. Hélas ! Que cette initiative fut vaine ! Certains, en Chine, pensent que la seconde guerre mondiale débutera par un conflit américano-japonais.
Les rendez-vous mondains se multiplient. Tous les « Occidentaux exportés » veulent rencontrer les membres de l’expédition. Cependant, les esprits ne sont pas à la fête. Tous se demandent s’il y aura un conflit sino-japonais. On appelle cela ‘les événements de Shanghai’. Le Fèvre croise, en retournant à son hôtel, un enterrement. Un orphelin qui pleure la mort de ses parents. Tout le monde est vêtu d’un blanc pur, éclatant. Symbole funeste, annonciateur d’un malheur imminent, ou simple hasard ?
« Nous partons à 4 heures 35. Bagages. Regrets de quitter si vite une ville si attachante. A la gare et sur le quai, la plupart de ceux qui nous ont reçus si aimablement ici : Bardac, Lagarde, Raphaël, Dubosc… […] On démarre. Chapeaux. Presque des mouchoirs. Et nous voici dans un compartiment de chemin de fer, avec un boy qui nous apporte du thé ; avec les fils télégraphiques qui montent et descendent sur un fond de paysage plat, jaunâtre, insignifiant, et même pas désertique ». Triste constat de Georges Le Fèvre : « Nous sommes réellement redevenus des touristes ».
Ils arrivent à l’Astor, où ils apprennent que Georges-Marie Haardt, fortement grippé, est resté dans sa chambre. Point, lui, est allé voir à Tongkou les navires chargés de l’embarquement de l’expédition. « Un méchant bateau, paraît-il, et huit par cabine. Pleurs et grincements de dents. Williams a raté le départ. Il pensait qu’on viendrait le chercher ».
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:15
Georges-Marie Haardt convie l’ensemble de l’équipage à un dîner d’adieu à l’Astor. Le lendemain, le Père Teilhard quittera la Croisière. Les « Occidentaux exportés » sont là et agissent en touristes, au grand agacement de Georges Le Fèvre. « La mère de Martel est assourdissante. Elle jouit de notre émotion qu’elle goûte comme du vieux marc, la lèvre pendante et les yeux quémandeurs.
– Cette table fleurie comme pour un mariage, dit le Père Teilhard, consacre pourtant une séparation. Si j’ai eu parfois au cours de ces journées des mouvements de mauvaise humeur, je m’en excuse. Il me reste le souvenir d’une très belle et d’une très grande chose Monsieur Haardt et que nous vous devons tous ». Après le repas, ils sont conviés au Country Club. Georges-Marie Haardt, malgré sa fatigue, ne peut refuser cette invitation de l’ambassadrice. Tous les membres de la Croisière Jaune le suivent.
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:42
Le 28 février, Georges Le Fèvre embarque à Tsien-Tsin. Hackin est déjà parti pour le Japon avec sa femme. L’arrivée à Shanghai a lieu le 3 mars. La présence japonaise se remarque avant même d’avoir accosté. A la zone de lutte maritime, succède celle des champs de bataille. Bien que la Croisière Jaune soit terminée, l’aventure continue ! Mais les Français n’ont plus qu’un seul rôle, celui d’observateurs, de simples ‘touristes’.
Le 6 mars, un déjeuner est organisé au Cathay avec Londres, Henry Barde et Viollis. « Amusant d’ailleurs, et animé. Les photos de Williams font une grosse impression, d’autant plus intéressante à noter que ces professionnels du journalisme en ont vu pas mal dans leur vie ». Plus tard, Le Fèvre et Williams auront cette conversation amusante :
« Williams, j’ai compris en regardant ces photographies, la différence qu’il y a entre le travail d’un amateur et le travail d’un professionnel…
• Mais je ne suis pas professionnel de photographie ; je suis un écrivain » !
Le 9 mars, le groupe embarque sur un nouveau navire, le « Président Jefferson ». La route est triste, funeste. Sombre présage. Arrivée à Hong-Kong le 11 mars et à Haïphong le 14 mars.
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Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:44
« Mercredi 16 mars
Nous partons tout à l’heure pour Hanoï. Je peste contre le temps qu’on perd à défaire et à refaire ses malles. Ce voyage tourne, je le pressentais, au vulgaire tourisme. Des éclats de voix joyeuses devant la porte de l’hôtel. C’est le groupe des retardataires qui arrive. Sauvage, le docteur, tout le monde… Nous devons nous rendre à 10 heures aux docks où doit avoir lieu une réception à la Municipalité. Sauvage et moi, en pousses. Les voitures sont rangées. On va partir.
- Où est Dubreuil ? - Il était là, il demande qu’on l’attende. On lui a demandé de venir à l’hôtel. Un coup de téléphone…
Nous attendons là, devant ces vieilles chenilles retrouvées. Allées et venues. Puis j’aperçois Point. Il est pâle.
- Alors, on part ? Et Audouin ?
Il me répond très vite à voix basse, et avec un air d’enfant bougon :
- Ah… quelle nouvelle ! Monsieur Haardt est mort. »
Sujet: Re: la Croisière jaune Dim 1 Jan 2017 - 17:47
Foudroyé par une pneumonie double. La nouvelle abasourdit tous les membres de l’expédition. Ils se refusent à y croire. « Malade, voulez-vous dire… gravement malade… mais mort… décédé… ce n’est pas vrai… c’est grotesque… c’est un non-sens ! »
Finalement, Audouin reprend :
« Messieurs… je viens d’apprendre à l’instant une affreuse nouvelle. Monsieur Haardt, notre chef, mon vieux camarade, est décédé cette nuit à Hongkong, des suites d’une pneumonie double.
Nous avons tous le même regard absent. Evidemment, nous ne réalisons pas encore. Nous ne réalisons pas que cette mort est une perte très grande, la fin réelle de l’expédition, le…
Il y a comme un grand trou vide autour de nous. Et à ce moment-là Haardt n’a jamais été plus vivant qu’au milieu de nous tous. L’incarnation d’un regret, d’un effort, d’une sorte de volonté surtendue, avec ses faiblesses, certes, et ses insuffisances […]
AUDOUIN : Il faut tout de même aller à la Municipalité… Ces gens se sont dérangés. On ne peut pas les laisser là, plantés devant la grille. Naturellement rien… Un serrement de main…
POINT : Messieurs, aux voitures… ».
« Haardt […] meurt dans une sorte d’apothéose de son rêve réalisé. Vainqueur. Il meurt vainqueur. C’est quelque chose. Il nous faut raconter la légende ».
Le 18 mars 1932, André Citroën demande à l’ensemble des membres de l’expédition de rentrer. Par respect pour sa mémoire, l’œuvre de Haardt ne sera pas prolongée au-delà des frontières chinoises.